En décembre 1845, le sultan alaouite Moulay Abderrahmane Ben Hicham, 24e descendant de la dynastie alaouite et neveu Moulay Slimane, dépêche Abdelkader Ach’Ach alors puissant pacha de Tétouan, comme ambassadeur à la cour de Louis-Philippe 1er de France. Une nomination qui intervient dans un contexte sensible de l’histoire de l’Empire chérifien. Mais l’ambassadeur tombera en disgrâce et sera emprisonné, dépossédé de ses biens puis réduit en simple fonctionnaire du Makhzen.
Nous sommes au 19ème siècle. La ville d’Oujda est alors harcelée par les forces françaises, déjà présentes en Algérie voisine. C’est «la bataille d’Isly», qui s’est déroulée le 14 août 1844 à la frontière algéro-marocaine en réponse au soutien de l’insurrection de l’Émir Abd el-Kader contre la France. Après le Traité de Tanger du 10 septembre 1844 puis la convention de Lalla Maghnia en mars 1845, les relations franco-marocaines retrouvent leur calme. Mais l’empire chérifien sait très bien que la France reviendra à la charge plus tard.
Afin de déterminer les vraies intentions de Louis-Philippe 1er de France, Moulay Abderrahmane choisit l’un des plus fidèles hommes du Makhzen pour mener cette mission diplomatique : le Pacha de Tétouan, El Haj Abdelkader Bnu Mohammed Ach’ach. Âgé d’environs 35 ans, il est fils d’un ancien pacha et serait originaire d’une veille famille andalouse, venue d’Espagne au XVe siècle.
Illustration de la bataille d’Isly. / DR
Une mission pour déterminer les vraies intentions des Français
«Il était l’un des plus célèbres pachas de Tétouan au 19e siècle et derrière cette nomination, la promesse du nouvel ambassadeur faite à Moulay Abderrahmane, de régler les coûts de cette ambassade à partir de son propre argent», indique la division d’histoire et de civilisation de Tétouan à l’université Abdelmalek Essaadi.
Une information confirmée par Muhammad Saffar dans son ouvrage «Une ambassade marocaine chez Louis-Philippe : Rihlah Al Faqih Assafar Ila Bariz» (Editions Eddif, 2002).
«Richissime, ce jeune Marocain, ayant l’expérience des affaires et jouissant de l’estime du sultan, a supporté tous les frais de l’ambassade et s’est montré très généreux envers ses hôtes. Il fit même spontanément parvenir au profit de la Seine une somme de 5 800 francs pour les pauvre de la capitale (française, ndlr).»
Muhammad Saffar
«L’Univers israélite : Journal des principes conservateurs du judaïsme» le décrit comme étant «un homme hors ligne par son éduction, ses belles manières, son esprit de justice et de tolérance et par ce caractère vraiment chevaleresque qui unit le plus intrépide courage à la plus généreuse bonté». L’histoire retient, toujours selon cet ouvrage, que sa famille a protégé les juifs de Tétouan depuis plusieurs décennies.
Une ancienne photo de la ville de Tétouan. / DR
L’ambassade s’embarque de Tétouan sur le Météore, un navire français affrété et aménagé par les autorités françaises. Le 14 décembre 1845, le navire quitte le Maroc pour arriver, cinq jours plus tard à Marseille. En plus du Pacha Ach’ach, l’ambassade est composée, entre autres, de plusieurs personnalités, dont le gendre du nouvel ambassadeur, le célèbre fqih de Tétouan et auteur Mohamed Assaffar. «De Marseille à Orléans, le voyage se fit en diligence et se termina en train. Le 29 décembre, les invités marocains furent accueillis à Paris et installés à l’hôtel des Ambassadeurs au 66, avenue des Champs-Elysées», raconte Muhammad Saffar.
Louis-Philippe ordonne même que l’ambassade soit traitée avec considération, insistant pour que les autorités lui fasse découvrir les merveilles de la France. «Le Caid-ambassadeur a été partout l’invité d’honneur, il a été chanté par des poètes et considéré comme un sujet d’attraction par bien des mondaines parisiennes».
Emprisonné et dépossédé de ses biens par Moulay Abderrahmane
Le 30 décembre, Caid Abdelkader Ach’ach rencontrera le roi français au palais des Tuileries pour lui remettre la lettre de Moulay Abderrahmane. Mais bien que l’historien François Guizot ait qualifié cette ambassade d’ «excusions dépourvue de tout contenu politique» dans ses «Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps» (1861), la mission diplomatique aurait plus servi à la France qu’au royaume chérifien.
Le 27 février 1846, l’ambassadeur retourne à Tétouan pour poursuivre sa mission de pacha de la ville. En 1850, Abdelkader Ach’ach se dirigera avec le secrétaire de son ambassade, Mohammed Assaffar, vers le palais de Fès pour présenter au sultan alaouite le cadeau de l’Aid, conformément aux traditions de l’époque, comme des documents en Arabe datant du 19e siècle et qui auraient appartenu aux services de renseignements français sur le royaume chérifien. «Une fois arrivé au palais, Abdelkader Ach’ach sera emprisonné lui, ses frères et ses proches. Le sultan annoncera aussi la confiscation de tous les biens des Ach’ach et leur dépossession. Ces biens seront ensuite vendus et leurs argents transférés sur le compte de Dar Al Makhzen», poursuit la même source. «Gracié par la suite, Abdelkader Ach’ach deviendra un simple fonctionnaire du Makhzen jusqu’à sa mort à Meknès en 1866».
Mais la division d’histoire et de civilisation de Tétouan à l’université Abdelmalek Essaadi rapporte une autre version : «Haj Abdelkader Ach’ach sera nommé à nouveau pacha de Tétouan par Mohammed IV en 1862 avant d’être à nouveau démis de ses fonctions, en 1864 et transféré à Meknès où il décède». Cette source indique que la France serait à l’origine de cette dernière décision pour des raisons encore méconnues.
Un portrait de Moulay Abderrahmane. / DR