L’annonce gouvernementale des grandes lignes de la réforme du Code de la famille, mardi dernier à Rabat, fait débat sur les points qui constitueront une base pour la révision du texte. Parmi eux, des dispositions successorales non-égalitaires, une exception favorable au mariages des mineurs, ainsi que la non-reconnaissance de l’expertise ADN pour la filiation des enfants nés hors-mariage font l’objet de questionnements.
Réagissant ce vendredi aux grandes lignes annoncées, la Coordination féministe pour la réforme globale et profonde du Code de la famille a salué la démarche participative de l’Instance en charge du processus, laquelle a procédé à des consultations élargies auprès de la société civile, des partis politiques et de diverses institutions. Auditionnée dans ce contexte, la structure, qui compte plus de 33 organisations, s’est félicitée de voir nombre de ses observations retenues. Pour autant, ses objections portent sur six points principaux, dont l’intérêt supérieur de l’enfant et les droits des femmes.
Dans sa déclaration écrite, consultée par Yabiladi, la Coordination a en effet pointé une continuité de dispositions qu’elle considère déjà comme non-égalitaires dans le texte en vigueur, notamment en matière d’héritage, de polygamie, de gestion des biens, de liens conjugaux coutumiers, d’exception favorable au mariage des mineurs, ainsi que la non-reconnaissance du test ADN comme preuve de la filiation pour les enfants nés hors-mariage.
L’intérêt supérieur de l’enfant, un principe constitutionnel
Selon la Coordination, «le contexte actuel impose de reconnaître pleinement aux femmes leurs droits à une vie digne et sûre, en reconsidérant tout ce qui mine cette exigence et limite leur jouissance égale des droits constitutionnels et des droits humains».
Avocate et membre de la structure, Aïcha Alhiane a affirmé à Yabiladi que «les normes égalitaires positives ne sont contradictoires ni aux préceptes religieux, ni aux jurisprudences théologiques éclairées, lorsque ces trois éléments ont vocation à asseoir la justice, laquelle commence par garantir protection et dignité aux enfants et aux plus vulnérables».
Contactée par notre rédaction, la militante estime, dans ce sens, que la reconnaissance des enfants nés hors-mariage par test ADN «est rendue possible grâce aux nouveautés scientifiques en phase avec notre temps, même que les tribunaux marocains tiennent compte de cette expertise comme élément de preuve d’un crime, sans pour autant affilier le nouveau-né à son parent naturel».
«Aux premières ères de l’islam, des siècles avant le progrès technologique, on procédait déjà à la ‘qyassa’ (ressemblance) pour affilier des enfants à un parent. Alors maintenant que nous avons accès à un outil qui nous permet d’établir cette filiation sans marge d’erreur, on fait le choix de passer outre, aux prix de la dignité des nombreux enfants nés hors-mariage, qui sont privés de leurs droits les plus élémentaires, à savoir connaître leurs parents, avoir une identité et une famille.»
Me Aïcha Alhiane
Dans ce sens, l’avocate rappelle qu’en vertu de l’article 32 de la Constitution de 2011, l’Etat «assure une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants, abstraction faite de leur situation familiale». Ce principe est en phase avec la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), signée et ratifiée par le Maroc.
Me Aïcha Alhiane explique ainsi que «le législateur marocain ne différencie pas entre les mineurs en fonction des circonstances de leur naissance dans un cadre matrimonial légalement reconnu ou non, pour veiller à leur épanouissement et au respect de leurs droits élémentaires». L’associative insiste qu’il s’agit ici d’«un devoir étatique envers l’ensemble des enfants du pays, qui ne sont pas responsables du contexte dans lequel ils ont été conçus».
En septembre 2020, la Cour de cassation a refusé la filiation parentale à une enfant née hors-mariage en 2014, décrétant ainsi la nullité d’une jurisprudence rendue en 2017 par le tribunal de première instance de Tanger. Cette décision définitive appuie celle de la Cour d’appel de la ville. Aïcha Alhiane se dit «étonnée que l’on ne tienne pas compte d’une expertise ADN comme preuve de filiation, alors qu’on autorise encore le mariage coutumier de ‘fatiha’, qui est non-acté et où la reconnaissance par le parent reste au bon vouloir de ce dernier».
A ce titre, l’avocate met en garde sur «la nécessité de préserver l’équilibre et la dignité de tous les enfants», en «acceptant le progrès scientifique comme on le fait dans tous les domaines», de manière à «ne pas créer des citoyens de seconde zone et générer des phénomènes sociétaux susceptibles de devenir des défis majeurs, d’autant qu’il s’agit de nos générations futures, des femmes et des hommes de demain».
La protection par l’abrogation de l’article 20 du Code de la famille
Ce débat intervient dans un contexte où de récents procès ont remis en question la non-recevabilité des tests ADN pour la filiation, notamment en cas d’inceste ou de viol sur mineure. En avril 2023, l’affaire de Tiflet est devenue emblématique, après les peines légères de deux ans rendues en première instance, à l’encontre de trois coupables de crimes passibles entre 10 et 20 ans, voire de 30 ans.
Joint au dossier, un test ADN a confirmé la compatibilité du nouveau-né avec l’un des coupables, sans contraindre le concerné à reconnaître l’enfant et à lui verser une pension. En appel, les accusés ont écopé de 20 et de 10 ans de réclusion. Dans le temps, l’avocat de la défense a plaidé l’acquittement, arguant que l’expertise scientifique était fiable «seulement» (sic) à 99,99%.
Outre cette question, la Coordination féministe pour la réforme globale et profonde du Code de la famille s’est interrogée sur l’exception laissée au mariage à partir de 17 ans. Dans le cadre du débat actuel, institutions et organisations de la société civile ont préconisé l’abrogation de l’article 20 du texte en vigueur. Dans des déclarations publiques, le ministre de la Justice s’est lui-même dressé contre le phénomène.
Dans un entretien donné à la chaîne saoudienne d’information Al Arabiya, en juillet 2023, Abdellatif Ouahbi a en effet insisté que «l’âge légal du mariage est de 18 ans, pour les filles et les garçons, car c’est l’âge de la majorité». Par ailleurs, il a souligné qu’à ce sujet, «les enfants n’ont pas de devoirs mais des droits» et qu’à partir de là, «la place des filles de moins de 18 ans est à l’école». Précédemment, il s’est interrogé sur l’intérêt de maintenir le statu quo autour de la question.
Dans ce contexte, la Coalition féministe appelle «à l’implication de chacun pour un véritable changement législatif à même de protéger les droits de tous les membres de la famille, sans discrimination».