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À Al-Andalus, une cité musulmane a donné naissance à Madrid

À Al-Andalus, une cité musulmane a donné naissance à Madrid

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On n’imaginerait pas aujourd’hui Madrid comme une cité musulmane fortifiée. Pourtant, c’est bien sous cette forme que la capitale actuelle de l’Espagne a été initialement érigée sous le califat andalou, à partir du IXe siècle. Les Omeyyades, qui gouvernent le monde musulman depuis Damas de 661 à 750 puis Al-Andalus de 756 à 1031, ordonnent de lancer ce chantier en 865 et le suivent de près. Au fil des 220 première années de son existence, la ville devient un lieu de vie pour les musulmans, les juifs et les chrétiens, jusqu’à sa prise par la royauté chrétienne pendant la Reconquista (722 – 1492).

Dans le temps, la citadelle est appelée «Majrit» ou «Maŷrīṭ» pour l’abondance de ses ressources naturelles d’eau. Membre de l’Académie royale d’Histoire en Espagne et collaboratrice de la Fondation pour la culture islamique (FUNCI), María Jesús Viguera Molíns a consacré une importante partie de son travail à la documentation des vies multiples de la cité initialement musulmane, à travers des sources arabes. Elle note que la ville est mentionnée pour la première fois par le chroniqueur Ibn Ḥayyān (mort en 1076), citant son prédécesseur Razi (mort en 955).

L’écrit renseigne que le château de Madrid constitue l’une des nombreuses infrastructures imposantes, dont l’édification est ordonnée par l’émir omeyyade Muḥammad I (852 – 886) «pour les habitants de la frontière de Tolède». En effet, l’ouvrage titanesque est entamé dans un contexte marqué par une intense activité de construction et de fortification des zones limitrophes, des «frontières» et des «brèches» du territoire d’Al-Andalus, afin de mieux repousser toute incursion. En ce IXe siècle, c’est d’ailleurs une préoccupation omniprésente dans la gouvernance des émirs, d’autant que la péninsule ibérique est en proie à la reprise de ses chefs-lieux par les chrétiens, jusqu’à la chute de Grenade (1492) qui aura clos huit siècles de règne musulman.

Renforcer une zone frontalière à Tolède

Il en ressort ainsi que la fondation de la ville «visait à consolider la puissance de Cordoue dans cette région frontalière et peu peuplée, et, en particulier, à faire face à l’insubordination constante de Tolède et aux incursions asturiennes», explique Daniel Gil-Benumeya, coordinateur scientifique du Centre d’études du Madrid islamique (CEMI) et professeur d’études arabo-islamiques à l’université Complutense de Madrid. Dans son article «Le Madrid andalou, entre histoire et mémoire», le chercheur souligne qu’en l’espèce, on pourrait estimer l’existence d’une fondation antérieure à 865.

Selon lui, le développement urbain de Muhammad Ier aurait pris fin avant 871. Ibn Hayyan décrit «un rebelle tolédan» appelé Masuna ou Masiya, intercepté et tué cette année-là à Madrid «par celui qui a été peut-être le premier gardien de la ville : ‘Ubayd Allāh b. Sālim». D’autres hypothèses attribuent la fondation de la première fortification (ḥiṣn) de Madrid à l’«un des nombreux rebelles de l’émirat ou à l’initiative du clan amazigh des Banū Sālim, installé dans la Moyenne Marche, auquel le patronyme du susmentionné ‘Ubayd Allāh b. Sālim pourrait être lié». Les chroniques du califat «auraient plus tard attribué la fondation aux Omeyyades».

Pour autant, «la préexistence d’une prétendue colonie wisigothique est un sujet récurrent, malgré l’absence de preuves documentaires ou matérielles», précise encore Daniel Gil-Benumeya, en référence à une hypothèse de Jaime Oliver Asín (1959), que ce dernier finira par abandonner. Dans tous les cas, les recherches suggèrent que «les seules indications d’un habitat antérieur» proviennent de la période islamique. Seulement, les caractéristiques du sanctuaire de Madrid restent elles-mêmes sujettes à conjectures, puisque les vestiges ont été détruits entre les XVIe et XXe siècles. Les données les plus récentes décrivent «une enceinte fortifiée d’environ quatre hectares, ce qui place Madrid au même niveau que de petites villes de la Moyenne Marche comme Calatrava, Zorita de los Canes et Alcalá».

Quant au renforcement des remparts, il est retracé par Ibn Ḥayyān et repris par al-Ḥimyarī au XVe siècle. Il raconte que pendant des fouilles du fossé extérieur de la muraille, une tombe imposante d’une vingtaine de mètres a été mise au jour. La muraille comporte «au moins deux portes, qui ont survécu jusqu’à l’époque moderne». Le géographe et voyageur marocain Charif Al-Idrissi a également consacré une partie de son emblématique «Livre de Roger» (Tabula Rogeriana, ou Nuzhat al-mushtāq fi’khtirāq al-āfāq) à la description du Madrid castillan qu’il l’a connu. Paru en 1150, cet ouvrage situe «la mosquée principale où le sermon est régulièrement prononcé» près de l’une de ces entrées.

Une influence culturelle qui n’a pas révélé tous ses secrets

À cette époque, la mosquée sert d’église Santa María, ou l’église d’«Almudena», en raison de sa proximité avec l’ancienne citadelle musulmane. Les recherches attestent par ailleurs que Madrid a compté quatre zones en dehors des fortifications (extra-muros). Trois parmi elles seraient liées à l’urbanisation qui a marqué les Xe et XIe siècles. La dernière, sur la colline de la Vistilla, serait contemporaine ou légèrement antérieure à la construction du cœur de la citadelle. Aux abords de la place de la Cebada, un cimetière aurait par ailleurs servi aux habitants entre les IXe et le XVe siècles, à l’époque mudéjar.

Plus qu’un bastion militaire, Madrid s’avère ainsi être une véritable «médina» qui a connu un développement administratif et urbanistique conséquent, sous le règne musulman, puis durant les premières années de la royauté chrétienne. A ce titre, Charif Al-Idrissi la qualifie de «petite ville et forteresse prospère et bien défendue», riche de son rayonnement intellectuel et de son essor économique. Elle a eu son qadi, sa grande mosquée, une vingtaine d’oulémas et nombre d’érudits ou de scientifiques dont les noms sont liés à la ville, à l’image du mathématicien et astronome Maslama al-Maŷrīṭī, mort à Cordoue vers 1007. Quant aux vestiges mis au jour jusque-là, ils attestent de l’importante activité agricole locale, ainsi que d’une organisation du travail dans le textile, outre une activité de poterie distinguée.

Jusque-là forte de la puissance militaire des gouvernants omeyyades, cette organisation sociale sera toutefois secouée par la reconquête chrétienne, qui l’éloigne de plus en plus des zones d’influence musulman sur la péninsule ibérique. La prise de Madrid s’opère dès le XIe siècle, plus de 300 ans avant la fin du règne musulman d’Al-Andalus en 1492. Artisan de la conquête de Tolède en 1085, le roi Alphonse VI de León (1065 – 1109) s’empare du territoire pour en faire une ville castillane et chrétienne. Pour autant, celle-ci reste marquée par sa diversité culturelle, pour avoir compté une large communauté mudéjare, puis maure, durant près de cinq siècles.

Dans un autre de ses articles consacrés à l’héritage musulmans de Madrid, Daniel Gil-Benumeya estime que cette présence s’est même étalée sur 700 ans, avec l’afflux de Morisques déportés ou réduits en esclavage en provenance de Grenade. «D’autres formes de présence musulmane ou crypto-musulmane ont perduré au-delà, telles que des esclaves d’origine musulmane, des exilés, des otages, des renégats et des ambassadeurs», explique-t-il dans «Les musulmans dans les rues de Madrid».

Ph. Daniel Gil-BenumeyaPh. Daniel Gil-Benumeya

Mais ces traces historiques ont été peu conservées, dans un contexte où «la vision dominante en Espagne, ancrée dans la période médiévale et consolidée au XIXe siècle, a considéré l’identité islamique comme étrangère et hostile et la ‘Reconquista’ comme le grand mythe fondateur de la nation». Proposant un récit plus documenté, le chercheur souligne que la composante musulmane a eu davantage une dimension culturelle. Elle se reflète dans la toponymie urbaine de Madrid, se retrouve dans les noms enregistrés depuis le XIXe siècle, ou encore dans les légendes reliant certains emplacements de rue à la présence islamique.





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